“ ENTRONS DANS LES VOIES QUI NOUS SONT OUVERTES ”
Ouverture et fermeture des travaux; des cérémonies initiatiques à part entière.
1) L’ouverture : une cérémonie à part entière
Pour donner à ses assemblées un caractère authentiquement sacré, le rituel du R.E.R. fonctionne sur un mode ouverture/fermeture. Tel un mouvement d’inspiration/expiration, ce procédé permet à tous les membres de la loge d’entrer ensemble dans un espace-temps sacré. L’unique rôle du Vénérable-Maitre dans cette cérémonie est de diriger (c'est-à-dire de piloter) tous les frères de la loge au cours de cette opération rituelle.
Retenons bien cette idée d’opération, tout comme en chirurgie, ou encore de manœuvre, comme en conduite, ou en construction. Il s’agit de réussir ces manœuvres, ces opérations, ces cérémonies qui n’ont de raison d’être que de permettre de faire passer les frères dans le Sacré ; de muter, de transformer, de transfigurer une assemblée qui était encore entièrement profane il y a une minute.
Pour réussir une manœuvre, il faut à la fois s’y exercer en pratique et acquérir une expérience suffisante pour la réaliser sans difficultés, mais encore l’étudier en théorie afin d’en comprendre l’intérêt, l’utilité, la raison d’être (pourquoi faisons-nous telle ou telle opération dans le rituel ? Quel objectif cela sert-il ?)
Sur l’extrait en exergue, on peut remarquer que :
cette réplique du Vénérable-Maitre est sa première annonce.
le Vénérable-Maitre n’a encore presque pas pris la parole.
il n’a fait que questionner les surveillants
Pour vérifier que tout est dans l’Ordre
et pour verrouiller cette disposition générale pendant toute la durée de cette exploration spirituelle qu’est l’assemblée solennelle de la loge.
Nous venons de parler d’exploration. Plus la cérémonie d’ouverture est activement exécutée, plus l’exploration qui va suivre sera riche. Ainsi, il convient non pas seulement de réciter bêtement le texte que nous avons sous les yeux, si nous voulons donner vie à ce voyage initiatique qu’est la tenue, mais bien de mettre en œuvre (de manœuvrer), d’opérer, d’agir et de conduire ensemble ces cérémonies qui sont nos protocoles opératoires, notre visite “pré-vol” que tout pilote aérien sait être incontournable avant de prendre son envol et partir en voyage.
Car c’est bien à cela que nous prépare la cérémonie d’ouverture : un voyage, voire une expédition dans les profondeurs de la connaissance. C’est précisément ce sens qu’il faut comprendre par le fait « d’entrer dans les voies qui nous sont ouvertes ».
2) L’expédition en Haute-Connaissance n’est ouverte que lorsque « tout est dans l’Ordre » …
Compte tenu de l’extrême difficulté du sujet (la Haute-Connaissance étant, de tous les objets que l’homme a hérités de l’Éternel, le plus inaccessible) il convient de donner à tous les hommes de vrai désir qui se trouvent ici, la plus exacte et parfaite préparation, afin qu’ils puissent profiter pleinement des trésors que promet cette expédition extraordinaire !
Préparation sans laquelle les tenues ne seraient que de fausses assemblées dans lesquelles rien ne serait « dans l’Ordre » et où le profane (le désordre, la prévarication, le vice … en un mot le peccatum : le péché ») n’ayant absolument pas été écarté de l’enceinte sacrée de ce temple, règnerait abominablement en maitre dans les loges… D’où l’importance de la première partie de cet avis : « puisque les profanes sont écartés et que tout est dans l’Ordre »... Cette première partie récapitule (re-capitula : ramener en tête) ce qui vient d’être réalisé activement par les surveillants et, les soutenant bien évidement en esprit, l’intégralité des frères de la loge.
C’est alors seulement que peut s’entrevoir le début du voyage et la lumière qui devra permettre d’éclairer nos pas dans ces voies ouvertes vers « l’Orient où règne l’éternité heureuse »
Le Vénérable Maitre termine : « et que la lumière la plus pure nous aide à les vérifier ». Faisant écho à cette invitation d’ouverture, il rappellera, depuis l’Orient, lors la fermeture, à la fois ces voies et cette lumière qui « se tient à l’Orient » et que c’est au bout des voies qui y conduisent « seulement que vous pourrez la trouver », cette lumière, ou plutôt sa source, qui éclaire nos pas vers elle.
Notons au passage que le vénérable-maitre n’invoque pas n’importe quelle lumière et certainement pas la première venue, mais bien la plus pure qui soit afin de nous aider à vérifier les voies dans lesquelles nous nous aventurons. Arrêtons-nous sur cet usage du verbe « vérifier » pour faire remarque qu’il est polysémique. Il veut à la fois indiquer 1) que la lumière doit permettre une vision claire de la route que nous empruntons dans le but de vérifier que nous ne nous en écartons pas et 2) que ces voies empruntées soient aussi pures que la lumière qui doit les éprouver, vérifiant ainsi qu’il ne s’agit pas d’une fausse-route, dont les différences sont impossibles à discerner pour l’homme privé de guide. On retrouve cet enseignement dans l’instruction morale d’apprenti : « Les trois voyages dans l'obscurité vous ont figuré […] l'état de privation où [l’homme] se trouve lorsqu'il est abandonné à ses propres lumières ».
3) Le Vénérable Maitre a comme premier devoir d’éclairer la loge de ses lumières
C’est un caractère essentiel et pourtant bien souvent passé sous silence : les lumières dont il est question sont celles qui doivent éclairer ces voies ouvertes pour tous les frères de la loge. Ce sont les voies et la même lumière dont il est question dans l’instruction par Demandes et Réponse :
D - Comment voyagent les apprentis?
R - De l’occident à l’Orient.
D - Pourquoi ?
R - Pour chercher la lumière …
D - Peuvent-ils découvrir la lumière ?
R - Non ! car en traversant les trois régions élémentaires ils y trouvent des obstacles qu'ils ne sauraient vaincre
D - Comment peuvent-ils donc l'obtenir ?
R - Par un vrai désir qui leur en fait apercevoir le premier Rayon dans la Région Orientale …
Ce premier devoir est pourtant bien ce que les frères d’une loge sont en droit d’attendre d’un Vénérable Maitre. Les “lumières” du Vénérable Maitre n’étant pas sa propriété propre, mais le fruit d’un héritage de l’Ordre et d’une “triple puissance” qu’il en a reçu, siégeant à l’Orient, auprès du chandelier à trois branches, premières lumières trinitaires de l’Ordre, et des saintes écritures sur lesquelles est déposée l’épée qu’il doit avoir mis, en qualité de chevalier-maçon, au service de l’Éternel. Ces voies qui nous sont ouvertes au R.E.R. sont celles de la plus haute-connaissance, profonde et intime de soi-même d’abord, du monde ensuite dans lequel nous sommes et qui nous entoure, de la nature immortelle de notre âme et de notre haute destination enfin, ainsi que l’exclame la Règle, Art. II « immortalité de l’âme », al. 1 :
“Homme ! Roi du monde ! Chef-d’œuvre de la création lorsque Dieu l’anima de son souffle ! médite ta sublime destination.”
Celui qui, déjà, entraperçoit ces voies absolument sublimes, remarquera qu’elles conduisent à un véritable lieu de révélation (apokalyptein). Révélation de telle nature qu’elle est capable de transformer du tout au tout celui qui parvient à y pénétrer véritablement. Ainsi convient-il, pour tous ceux qui désirent d’atteindre cet état de divine connaissance, de s’engager avec confiance et sincérité dans les voies qui y conduisent. Et, pour tous ceux qui en ont déjà gouté les charmes, de se livrer avec le même zèle à l’illumination de ces mêmes voies, réservant l’accès à ce que le livre de la Révélation dans les Saintes Écritures a nommé « la Jérusalem Céleste ».
Orphée ramenant Eurydice des enfers, 1861
Jean-Baptiste-Camille Corot 1796 - 1875